Comment l'Europe veut sécuriser l'avenir des paiements en euro
La transformation rapide des paiements, la montée des acteurs extra-européens et l'essor de la finance tokenisée bousculent les équilibres monétaires. Face à ces mutations, la Banque de France intensifie son action pour préserver la stabilité financière et l'autonomie stratégique de l'euro.

Des usages de paiement en pleine mutation
La baisse progressive de l'utilisation des espèces s'inscrit dans une évolution structurelle des habitudes de paiement. En France comme dans le reste de l'Europe, les paiements par carte dominent désormais les transactions du quotidien, portés par la croissance continue du commerce en ligne et des services numériques.
Cette dématérialisation a amélioré la rapidité et la praticité des paiements, tout en renforçant certains dispositifs de sécurité. Elle s'accompagne toutefois d'un phénomène préoccupant : une dépendance accrue à des infrastructures et à des standards technologiques largement contrôlés par des groupes non européens, en particulier américains, tels que Visa ou Mastercard. Cette situation soulève des enjeux majeurs en matière de souveraineté, de concurrence et de protection des données.
Parallèlement, l'exposition aux cyberrisques s'intensifie. La sophistication des fraudes, combinée à l'utilisation croissante de l'intelligence artificielle, complique la sécurisation des paiements numériques, malgré la généralisation de l'authentification forte en Europe.
La tokenisation, promesse d'efficacité mais défi monétaire
Au-delà des moyens de paiement traditionnels, la numérisation gagne désormais les actifs financiers eux-mêmes à travers la tokenisation. Ce phénomène ouvre la voie à des transactions plus transparentes, plus rapides et potentiellement moins coûteuses, en automatisant certaines opérations via des registres distribués.
Toutefois, cette évolution pose une question centrale : celle de l'actif utilisé pour régler ces transactions. À ce stade, les stablecoins constituent l'essentiel des solutions disponibles. Or, la majorité d'entre eux sont indexés sur le dollar et émis par des acteurs non européens, souvent peu ou pas bancaires. Le cas de Tether illustre cette concentration. Pour la zone euro, le risque est clair : voir s'installer une forme de « dollarisation numérique » dans des pans entiers de l'économie.
Une concurrence technologique source de fragmentation
L'essor de la finance tokenisée s'accompagne également d'une intensification de la concurrence sur les infrastructures de paiement et de règlement. Des acteurs globaux de la technologie investissent ce champ, à l'image de Google dans les paiements, multipliant les plateformes et les solutions propriétaires.
Si cette dynamique stimule l'innovation, elle fragmente aussi le paysage du post-marché européen. À terme, cette dispersion pourrait nuire à l'efficacité globale du système financier et compliquer l'interopérabilité des infrastructures.
Un cadre réglementaire européen en cours de renforcement
Pour contenir ces risques, la Banque de France s'appuie d'abord sur un arsenal réglementaire européen déjà dense. Les directives DSP2 et la future DSP3, le règlement DORA sur la résilience numérique ou encore le règlement MICA sur les cryptoactifs constituent des piliers essentiels pour protéger les utilisateurs et encadrer l'innovation.
Néanmoins, MICA ne couvre pas l'ensemble des risques liés à une adoption massive de stablecoins émis hors d'Europe. La Banque de France plaide donc pour un renforcement du dispositif, notamment afin de limiter l'usage de ces actifs pour les paiements du quotidien et de mieux encadrer les modèles de multi-émission.
Trois projets structurants pour la monnaie de banque centrale
Afin de maintenir le rôle central de la monnaie de banque centrale dans un environnement numérique, l'Eurosystème a lancé plusieurs projets complémentaires visant à adapter ses services aux nouvelles technologies.
| Projet | Objectif principal | Horizon |
|---|---|---|
| Euro numérique | Offrir un moyen de paiement public numérique pour les usages quotidiens | Décision attendue après vote européen, à partir de 2026 |
| Pontes | Mettre à disposition une MNBC de gros adaptée aux actifs tokenisés | Première version fin 2026 |
| Appia | Explorer une infrastructure post-marché européenne basée sur les DLT | Moyen / long terme |
L'euro numérique vise à préserver, sous forme digitale, les attributs fondamentaux du billet : accessibilité, sécurité et acceptation universelle. Son émission restera conditionnée à l'adoption d'un cadre juridique par le Parlement et le Conseil européens.
Complémentarité entre monnaie publique et solutions privées
La Banque de France rappelle que la monnaie de banque centrale ne saurait répondre seule à l'ensemble des besoins de règlement de l'économie. Les monnaies privées, émises par des acteurs régulés - au premier rang desquels figurent les banques - jouent un rôle clé, notamment pour les paiements du quotidien.
L'enjeu consiste à garantir une parfaite interchangeabilité au pair entre monnaie publique et monnaie privée, afin de préserver la solidité du système monétaire européen. Dans cette optique, les initiatives portées par les acteurs européens, comme le consortium EPI (European Payments Initiative) ou les projets de dépôts tokenisés et de stablecoins en euro, apparaissent déterminantes pour renforcer l'autonomie stratégique de l'Union.