Immobilier tertiaire : vers une transformation structurelle du bureau

La généralisation du télétravail et le durcissement du contexte économique ont profondément modifié le marché des bureaux en France. Entre hausse de la vacance, désajustement de l'offre et mutation des usages, l'immobilier tertiaire entre dans une phase de transformation durable.
Un marché fragilisé par des déséquilibres persistants
Depuis la crise sanitaire, le marché de l'immobilier de bureaux évolue dans un environnement instable, marqué par un décalage croissant entre l'offre disponible et la demande réelle des entreprises. Les ajustements engagés restent progressifs, tandis que les indicateurs témoignent de tensions structurelles durables.
La concentration géographique du parc tertiaire accentue ces fragilités, en particulier en Île-de-France, où se concentre l'essentiel de l'activité économique et des surfaces disponibles.
Une vacance élevée et une offre abondante en Île-de-France
Le marché francilien affiche des signaux préoccupants. Selon Cushman & Wakefield, le taux de vacance des bureaux est passé de 5,5 % en 2019 à 10,5 % au troisième trimestre 2025. L'offre immédiatement disponible dépasse désormais 6 millions de mètres carrés.
À l'échelle nationale, sur environ 173 millions de mètres carrés de bureaux recensés, dont 89 millions relevant du parc marchand, plus de 9 millions de mètres carrés seraient aujourd'hui inoccupés, d'après le Consortium des Bureaux en France. Parmi ces surfaces vacantes, près de 2 millions de mètres carrés correspondent à des friches tertiaires, restées sans usage depuis plus de deux ans, dont 1,2 million en Île-de-France.
Cette situation est aggravée par la poursuite des programmes de construction. Environ 2 millions de mètres carrés de bureaux sont actuellement en chantier en Île-de-France, avec des livraisons prévues jusqu'à fin 2027, alimentant un déséquilibre durable entre une offre abondante et une demande affaiblie.
Un environnement financier moins favorable aux valorisations
La remontée des taux d'intérêt depuis l'automne 2022 a pesé lourdement sur les capacités d'investissement et la valorisation des actifs tertiaires. La compression de la prime de risque immobilière, mesurée par l'écart entre le rendement immobilier et l'OAT TEC 10 ans, a réduit l'attractivité relative du bureau.
D'après CBRE, cette prime est passée d'environ 300 points de base début 2020 à près de 60 points de base fin 2025 pour les immeubles « prime » situés dans le Quartier Central des Affaires parisien. Ce contexte exerce une pression baissière sur les prix et renforce la prudence des investisseurs.
Cette phase rappelle la crise du début des années 1990, lorsque la vacance avait franchi le seuil des 10 % à Paris, conséquence d'un excès de construction combiné à une récession économique. Le marché n'avait alors retrouvé un équilibre qu'après plusieurs années d'ajustement.
Le télétravail redéfinit durablement la demande
L'essor du télétravail constitue l'un des moteurs majeurs de la transformation du marché. Selon l'INSEE, 22 % des salariés du secteur privé télétravaillaient en 2024, contre seulement 4 % en 2019. Une enquête Ifop indique par ailleurs que près de 70 % des salariés souhaitent conserver une organisation hybride.
Même si certaines entreprises encouragent un retour partiel au bureau, les niveaux de présence d'avant-crise semblent difficilement atteignables. Cette évolution conduit les employeurs à réduire la surface moyenne par collaborateur et à privilégier des espaces plus qualitatifs, mieux localisés et dotés de services.
Le flex office et les systèmes de réservation se généralisent, optimisant l'usage des surfaces mais réduisant mécaniquement les besoins globaux en mètres carrés.
Des tendances démographiques et technologiques de long terme
Au-delà des nouveaux usages, des facteurs structurels pèsent sur la demande future. Les projections de l'INSEE, publiées après la réforme des retraites de 2023, anticipent une baisse du nombre d'actifs à partir de 2036, réduisant mécaniquement les besoins en bureaux.
Parallèlement, le développement de l'intelligence artificielle pourrait influencer la croissance de l'emploi tertiaire, même si son impact précis reste difficile à quantifier. Ces éléments suggèrent que le déséquilibre actuel dépasse un simple cycle conjoncturel.
Selon Cushman & Wakefield, la demande placée de bureaux en Île-de-France recule de 8 % sur les neuf premiers mois de 2025, à 1,193 million de m², tandis que l'absorption nette devrait rester sous pression en 2026 et 2027.
La reconversion des bureaux vacants comme levier d'adaptation
Face à la vacance structurelle, la transformation des bureaux obsolètes vers d'autres usages apparaît comme une réponse partielle. Avec près de 10 millions de mètres carrés inutilisés en France, la reconversion en logements constitue une piste explorée par de nombreux acteurs.
La proposition de loi portée par le député Romain Daubié, adoptée par le Parlement en 2023 et 2024, vise à faciliter ces transformations. Selon le Consortium des Bureaux en France, les 2 millions de mètres carrés de friches tertiaires pourraient accueillir environ 53 000 habitants à horizon cinq ans.
Des projets emblématiques ont déjà vu le jour, comme à Issy-les-Moulineaux ou dans le cadre de l'appel à projets « Réinventer Paris ». Ces opérations permettent de réduire l'empreinte carbone d'environ 50 % par rapport à une construction neuve, mais restent confrontées à des surcoûts techniques pouvant atteindre 20 %.
L'essor des bureaux flexibles et des usages alternatifs
En parallèle, les propriétaires cherchent à renforcer l'attractivité de leurs immeubles. Le bureau devient un lieu de collaboration et de culture d'entreprise, intégrant restauration, services de bien-être et solutions digitales.
Le modèle du bureau opéré connaît une croissance soutenue. Selon la plateforme Ubiq, le nombre d'espaces de coworking a progressé de 23 % entre 2021 et 2022 pour atteindre plus de 3 400 sites dans les principales villes françaises, avec un taux de remplissage record de 91 % fin 2022.
Des groupes comme Covivio, Gecina ou La Française intègrent ces formats flexibles afin d'offrir davantage d'agilité aux entreprises, sans investissement locatif de long terme.
Perspectives prudentes et opportunités ciblées
Les perspectives de reprise restent mesurées. Selon Xerfi, aucune amélioration significative n'est attendue avant 2027. Les investissements en bureaux, estimés à près de 5 milliards d'euros en 2024 (CBRE), devraient rester contenus avant une reprise progressive, sans retrouver les niveaux d'avant 2020.
Une étude McKinsey publiée en 2023 envisage une baisse de la demande de bureaux comprise entre 13 % et 20 % d'ici 2030 selon les scénarios. Dans ce contexte, les actifs anciens ou mal positionnés pourraient subir des ajustements de valeur plus marqués.
Pour autant, des opportunités existent pour les investisseurs capables de repositionner des immeubles, de répondre aux exigences environnementales du décret tertiaire et de développer des projets mixtes combinant bureaux, logements et commerces, notamment dans les zones les plus résilientes comme Paris intra-muros.