Reportage. Viens chez moi, j'habite dans un bureau

Anissa Hammadi 17 Septembre 2015 17:43

Pionnière en Europe dans ce domaine, la société néerlandaise Camelot Property gère des dizaines de bâtiments vacants partout en France. Son rôle ? Proposer à des particuliers d'occuper ces milliers de mètres carrés, pour seulement 200 euros par mois.

Reportage. Viens chez moi, j'habite dans un bureauVincent, un résident temporaire, dans un ancien bureau transformé en chambre.

Sur une avenue arborée et peu passante, le bâtiment de quatre étages jouit d'un emplacement idéal : tout proche du centre-ville, à dix minutes en voiture à peine de la gare du Rouen. Mais à y regarder de plus près, cet immeuble n'abrite pas des bureaux comme les autres. 

Certains détails ne trompent pas. D'abord, les pancartes vertes de la société Camelot Property indiquant "protection par occupation", accrochées sur la façade. Et, en levant la tête, un poster XXL de l'ancienne mannequin et actrice Cara Delevingne, plaqué sur l'une des nombreuses fenêtres sans tain.

À gauche de l'entrée principale, une grosse boîte aux lettres métallique recueille le courrier de tous les occupants de l'immeuble. Dessus, aucun nom d'entreprise, mais ceux de Vincent, Martine, Isabelle, Jamel, Margaux... Ils sont un peu moins d'une vingtaine à résider dans ces bureaux, transformés provisoirement en cohabitation géante. La moitié des étages est occupée, le rez-de-chaussée et le premier.

Occuper des bureaux, un "effet dissuasif"

En France, une seule entreprise a, pour l'instant, le monopole sur ce concept venu des Pays-Bas. Spécialisée dans la gestion d'immobilier vacant, Camelot Property "ne surpeuple pas les lieux, mais fait en sorte d'occuper 20 à 30 % de l'espace total", explique Olivier Berbudeau, directeur France de l'entreprise. Suffisant pour avoir un "effet dissuasif" contre le squat, le pillage ou pour éviter les dégradations.

"C'est tellement grand que l'on ne risque pas de se marcher dessus", lance Vincent, jeune résident de 24 ans, tout en faisant le tour des lieux. Tellement grand, en effet, que tous les résidents ont le luxe de laisser une pièce vide entre chaque chambre. Un moyen "d'échapper aux nuisances sonore", explique Martine, la doyenne.

200 euros par mois, charges comprises

À 60 ans, ce bout de femme "atypique", comme elle se définit elle-même, a repris ses études de science du langage. "Il me fallait un logement pas cher à Rouen". Et en termes de prix, l'occupation de bureaux est imbattable.

Très précisément 201 euros par mois, charges comprises, perçus par Camelot Property. Et ce, quel que ce soit le lieu – même tarif à Paris qu'ailleurs – et la taille de sa chambre (de 20 m² à 120 m² pour les plus chanceux). Dans le parc privé, pour une chambre de la même taille que la sienne (environ 30 m²), Vincent estime qu'il aurait dû débourser plutôt 350 euros.

Sur les portes, deux noms sont toujours accolés. Celui de l'actuel résident d'une chambre et celui d'un ancien employé, qui a occupé ce qui était jadis son bureau. "À Marseille, les résidents s'amusent même à s'appeler par les noms écrits sur la porte de leur chambre !" remarque Camelot Property. 

Une cuisine dans l'ancienne cellule de crise

Le hall d'accueil, devenu trop grand, sert en partie de local à vélos. De part et d'autre, deux couloirs desservent plusieurs chambres, ainsi que les salles de bains et les toilettes. Une pour les femmes, l'autre pour les hommes. Quant à l'ancienne "cellule de crise" du précédent locataire, elle fait désormais office de cuisine.

À l'étage, les résidents sont un peu plus chanceux. Véritable lieu de vie, plus convivial, le 1er étage dispose de 5 toilettes pour 8 résidents, de la laverie, d'une autre cuisine, du salon et de la salle à manger. "Il y a le salon télé, et le salon pour papoter !", intervient une résidente d'une quarantaine d'année, vêtue d'une robe rouge.

Un salon démesuré que les occupants peinent à remplir. Quelques meubles, pourtant, font presque oublier la froideur de la moquette bleue et des néons au plafond : deux fauteuils et un canapé autour d'une table vers la gauche, une table en bois entourée de chaises à droite, et puis entre les deux, au fond, un appareil de musculation.

"On est très bien ici, pourvu que ça dure"

Auparavant loué par une grande entreprise française, l'immeuble est aujourd'hui mis en vente par son propriétaire. En attendant, ce dernier a choisi d'y installer des "résidents temporaires" – et non des locataires – selon les termes de la loi Molle.

"Temporaires", car les résidents restent en général 12 à 18 mois avec un mois de préavis. À Rouen, les plus anciens sont là depuis août 2014. Déjà, la crainte de devoir quitter les lieux commence à faire son chemin.

"On est très bien ici, pourvu que ça dure. Pour rigoler, nous avons proposé à Camelot de se mettre à 19 pour racheter un étage", sourit Vincent. Si demain il doit plier bagage, il n'a aucun "plan B". Martine non plus. Mais ils n'ont pas de quoi s'inquiéter : une fois dans le réseau de Camelot Property, tous les résidents qui souhaitent faire une demande de logement, partout en Europe, sont prioritaires.

Un melting-pot de colocataires

Au-delà du tarif plus qu'attractif, il y a aussi une véritable adhésion au concept.

Les gens sont ouverts et on s'entend tous très bien, même si nous venons de milieux sociaux variés avec des âges très différents

raconte Vincent.

Ici se côtoient de jeunes étudiants comme des employés trentenaires, et même des sexagénaires. Un policier, une aide-soignante, une prof, des ingénieurs, "un gars dans le bâtiment, un autre dans la cuisine".

Entre les résidents, l'alchimie est évidente. "C'est convivial, on essaye de manger tous ensemble une fois par semaine", dit Vincent. Quand le temps s'y prête, ils organisent des barbecues dans le jardin du bâtiment.

Martine et Vincent rejoignent deux autres résidents, la trentaine. Dans la conversation : "Le record, c'était une occupation de trois ans". Puis un silence, où flotte l'espoir que la chance se répète. Et finalement, peut-être un plan B, formulé par Vincent : "On a pensé aussi à acheter tous ensemble une maison en ville".

>> Lire aussi : Paris veut transformer les bureaux vides en logements

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Une demande de logement temporaire très forte

"En réalité, en province, on s'est aperçu qu'il n'y avait pas d'offre de résidence temporaire, alors que la demande est très forte", observe Olivier Berbudeau. En effet, pour bon nombre de profils en situation précaire, résider dans un bureau semble être l'alternative idéale : "certaines personnes sont mutées, d'autres arrivent dans une région le temps d'une formation, d'autres sont consultants, en mission pendant six mois".

C'est pourquoi la "cible" de Camelot Property est très large. "Nous favorisons les salariés en mobilité, les apprentis, les intérimaires et toute personne qui présente des revenus réguliers, même en CDD", précise le directeur France de la société. Des profils souvent exclus du système locatif traditionnel. "Nous n'avons pas vocation à précariser les résidents. C'est pourquoi ce concept ne s'adresse pas vraiment aux familles, mais plutôt aux célibataires, et à quelques couples", ajoute-t-il.

>> Lire aussi : Les 24 pistes pour créer 10.000 logements par an à Paris

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