L'impôt sur la fortune improductive : une réforme fiscale qui bouleverse le patrimoine
Adopté fin octobre à l'Assemblée nationale, un amendement du projet de loi de finances pour 2026 prévoit de transformer l'actuel IFI en impôt sur la fortune improductive. Ce nouvel IFI élargirait la taxation aux actifs jugés « non productifs » tels que les fonds en euros, les cryptomonnaies ou encore l'or, suscitant une vive réaction chez les épargnants et les assureurs.

Un nouvel impôt sur la fortune pour taxer les placements jugés non productifs
Le 31 octobre 2025, les députés ont voté la transformation de l'impôt sur la fortune immobilière (IFI) en un impôt sur la fortune improductive. Porté par le député Modem Jean-Paul Matteï, ce texte, intégré au projet de loi de finances pour 2026, marque un tournant dans la fiscalité du patrimoine. L'objectif affiché : taxer les actifs considérés comme « dormants », c'est-à-dire qui ne participent pas directement à la croissance économique.
Concrètement, le champ d'application de cet impôt serait élargi bien au-delà de la pierre. Outre les biens immobiliers, il viserait désormais des placements tels que les fonds euros de l'assurance vie, les cryptomonnaies, l'or, les bijoux, les voitures de collection et certaines oeuvres d'art. Le taux proposé serait unique, à hauteur de 1 %, avec un seuil d'imposition maintenu à 1,3 million d'euros de patrimoine net.
Le barème progressif actuel de l'IFI (de 0,5 % à 1,5 %) disparaîtrait donc au profit d'un taux fixe, simplifiant le dispositif mais élargissant considérablement la base taxable. Selon Bercy, cette mesure viserait à renforcer l'équité entre la détention patrimoniale passive et l'investissement productif, moteur de l'économie réelle.
L'assurance vie en fonds euros au centre des critiques
Parmi les placements les plus concernés figure l'assurance vie en fonds euros, accusée d'être un actif peu dynamique. L'amendement adopté inclut les « sommes, rentes ou valeurs d'assurance vie », à l'exception de celles investies en unités de compte, dans l'assiette du nouvel impôt.
Une décision vivement critiquée par les acteurs du secteur. Gérard Bekerman, président de l'Afer, alerte : « Qualifier les fonds euros d'improductifs, c'est nier le rôle stabilisateur de l'épargne longue, celle qui amortit les crises, finance l'État, nos entreprises et protège les épargnants contre les aléas de la vie. » Selon lui, la mesure pourrait rapporter quelques centaines de millions d'euros à court terme, mais risquerait de priver l'économie réelle d'une source de financement essentielle.
Andrea Ganovelli, cofondateur de Green-Got, abonde : « Les fonds en euros sont constitués, pour une large part, de titres de dette d'État française. En les intégrant dans l'impôt sur la fortune improductive, l'État reviendrait à se tirer une balle dans le pied. » Il admet toutefois que la mesure pourrait encourager les épargnants à diversifier leurs placements, notamment vers les unités de compte ou l'investissement durable.
Les cryptomonnaies, l'or et l'art également concernés
Outre les placements financiers traditionnels, le nouvel IFI vise aussi les actifs numériques, à commencer par les cryptomonnaies, désormais systématiquement déclarées à l'administration fiscale. Cette inclusion suscite déjà des interrogations au sein de l'écosystème crypto français.
Nicolas Marchesse, cofondateur du groupe BPS (Blockchain Process Security), souligne : « cette annonce comporte encore beaucoup de flou et de questions. Par exemple, est-ce que le staking, sera considéré comme quelque chose d'improductif, au même titre que la simple détention d'actifs numériques ? » Sa collègue Chloé Desenfans estime « un mauvais signal envoyé à l'écosystème, avec un risque de fuite des capitaux des investisseurs vers des pays à la fiscalité plus souple, ou alors une réorientation de l'épargne vers d'autres produits. ».
L'or physique, les objets de collection, les bijoux de valeur et même certaines oeuvres d'art seraient également intégrés dans la nouvelle assiette fiscale. Une première depuis la suppression de l'ISF, alors que ces biens bénéficiaient jusqu'ici d'exonérations spécifiques.
Un texte encore flou et de nombreuses incertitudes à lever
Malgré l'adoption de l'amendement, les contours du nouvel impôt sur la fortune improductive restent encore flous. Le texte ne précise pas le traitement réservé à certains produits d'épargne, comme les contrats de capitalisation ou les plans d'épargne retraite (PER), qui contiennent souvent des fonds en euros. Les fiscalistes s'interrogent aussi sur le cas des holdings patrimoniales et des sociétés civiles, dont les parts logeant des actifs financiers non immobiliers pourraient, en l'état, échapper à l'impôt.
Par ailleurs, le mécanisme de plafonnement, qui limite le cumul des impôts directs à 75 % des revenus, serait maintenu, ce qui pourrait atténuer l'effet de la réforme pour les contribuables les plus aisés. Le seuil d'entrée fixé à 1,3 million d'euros – et non 2 millions comme initialement envisagé – ajoute cependant un flou supplémentaire, puisque le barème n'a pas encore été ajusté.
Pour de nombreux experts, il est encore trop tôt pour agir. Comme le résume un avocat fiscaliste cité par Les Échos : « Il y a une telle incertitude sur le devenir de cette taxe qu'il est déconseillé de prendre des décisions engageantes ou irréversibles. »
Vers un retour partiel de la fiscalité sur le capital
Si elle entre en vigueur au 1er janvier 2026, cette réforme marquerait le grand retour d'une taxation élargie du patrimoine, sept ans après la disparition de l'ISF. Selon les premières estimations, le rendement du nouvel impôt serait compris entre 500 millions et 2 milliards d'euros, bien loin des recettes générées par l'ancien impôt sur la fortune, qui dépassaient les 6 milliards d'euros annuels.
Au-delà de la portée budgétaire, c'est la philosophie de la réforme qui interroge : le gouvernement cherche à encourager l'investissement productif, mais risque de décourager une épargne prudente, souvent investie dans des supports jugés « improductifs ». Les prochains débats parlementaires et la loi de finances définitive diront si le nouvel IFI tiendra sa promesse d'équilibre entre justice fiscale et dynamisme économique.